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Cataractes de Sonja Delzongle

Whooz : Sonja Delzongle
ON : Cataractes – Denoël/Sueurs Froides, 2019

Cataractes de Sonja Delzongle

Chronique de Bruno D

C’est en quelques lignes, en quelques mots, que Sonja Delzongle fixe le décor de son nouveau roman et raye de la carte de la Serbie le village de Zavoï par une catastrophe violente et meurtrière qui hante encore les nuits de Jan Kosta, 45 ans, rescapé alors âgé de 3 ans : un énorme glissement de terrain, la puissance de l'eau qui balaie tout sur son passage, et engloutit la localité des Balkans laissant ainsi derrière elle un lac formé, des vies détruites, des drames et des cauchemars pour toujours.

Pour succéder à « Boréal » (2018) paru également chez Denoël, il fallait un autre cadre, une autre intrigue et marquer les esprits dès le départ. Mission réussi avec ce début cauchemardesque et oppressant où les forces destructrices de la nature sont mises en avant. Avec « Cataractes » ce n'est pas d'un voile aveugle que l'on va causer, mais d'une histoire « d'eau », d'amour, de filiation, des racines, de la beauté d'un pays sauvage et montagneux (celui de Sonja, la Serbie), et « du passé d'un pays qui n'existera plus jamais, la Yougoslavie ».

L'eau est au cœur du récit pour Jan qui est maintenant hydrogéologue. Son ami de jadis, Vladimir, vient le chercher à Dubaï pour une expertise du barrage dont il est le sous-directeur.

Sonja Delzongle sait jouer sur nos peurs intimes et profondes, entre instinct animal, lutte pour la survie, pièges en tout genre. Elle sait surtout nous emmener là où on ne l'attend pas. Avec un décor de montagne, un monastère et ses moines disparus, un asile psychiatrique, une forêt inquiétante, un barrage dangereux et un lac mystérieux, les lieux anxiogènes confèrent à cet opus un climat bien particulier.

La guerre en toile de fond, toujours présente, est une plaie encore difficile à panser pour les hommes de la région. C'est une cicatrice purulente, toujours ouverte, pour Jan et Vladimir, nos deux héros qui avaient 18 ans à l'époque.

Petit à petit, Sonja Delzongle nous fait glisser dans une drôle d'histoire où le passé joue son rôle et où le présent reste à écrire. Quarante ans, presque un demi-siècle suffisent pour écrire une incroyable histoire, de passion, d'épuration, de crise, de jalousie, et pour faire passer hommes, femmes et pays d'une époque à une autre, pas forcément meilleure d'ailleurs ! Quarante ans pour que des hommes se révèlent en bien ou en mal, pour qu'un pays évolue, se transforme, et abandonne une partie de son âme, de ses richesses et de ses traditions, sacrifiés sur l'autel du capitalisme moderne. L'eau est un enjeu primordial ; sa pureté, un trésor ; son acheminement, source de vie. Préserver la nature de la main de l'homme, avide de profit, qui gratte la terre dans ses moindres recoins est un enjeu dépassant de très loin la vie et l'harmonie des populations, que ce soit au cœur des Balkans ou ailleurs !

En tant que lecteur et chroniqueur, on se demande toujours comment parler d'un roman ou le classer par rapport à un autre. « Boréal » tutoyait les étoiles. « Cataractes », me semble-t-il, à la vue des origines de l'auteure, présente plus de choses personnelles de cette dernière. « Boréal » était un coup de cœur absolu, « Cataractes », pour sa réalisation, pour quelques ficelles réutilisées et plus visibles, me le fait placer un tout petit cran en dessous.

Les personnages, eux, sont vraiment bien travaillés, leurs drames, leurs vécus, sont un régal. Sonja Delzongle façonne et cisèle ses protagonistes comme des diamants purs et n'omet pas de donner beaucoup d'épaisseur aux intervenants secondaires. C'est là toute la puissance et la force de ce formidable roman dont la trame va crescendo.

« Boréal », et maintenant « Cataractes », sont deux œuvres de très haut niveau, écrites par une jeune femme, une romancière, au sommet de son art. Sonja Delzongle maîtrise parfaitement les codes et les gènes du thriller à la française et sait nous accrocher pour ne plus nous lâcher. L’écrivaine s'installe pour notre plus grand bonheur dans le gotha français de ceux qui possèdent un style, une plume, une âme, une signature. C'est tout simplement cela que l'on appelle le talent !