L'île des damnés d'Angélina Delcroix

Whooz : Angélina Delcroix
ON : L'île des damnés – Hugo Thriller, 2022

L'île des damnés
d'Angélina Delcroix

Chronique de Bruno Delaroque

Avec un prologue percutant et glaçant, je suis entré de plein pied dans cette « île des Damnés », le dernier opus d’Angélina Delcroix. Cette écrivaine que j'ai eu plaisir à rencontrer à Polar Lens 2022 avec la Team Hugo Thriller masque bien son jeu derrière son joli sourire. Elle semble capable d'écrire des horreurs, et je vous avoue que je ne m'attendais pas à me retrouver en enfer.

Scénario futuriste, fantastique, je ne sais pas ; mais avec une sacrée idée de départ, Angélina Delcroix va nous livrer quelque chose d'assez incroyable. Constatation d’une Justice à l'agonie et inadaptée pour les cas les plus lourds, nos prisons engorgées, des fonctionnaires de police marqués par la crasse du monde et leurs vies personnelles, c'est un peu tout cela que l'on aborde dans le dernier livre de l'auteure de « Synopsix » (Hugo Poche, 2022).

Proposer l'exil aux pires criminels, ceux jugés irrécupérables est un projet expérimental bâti dans le plus grand secret. Ces détenus dont l’identité est effacée, sont transférés sur « L'île des damnés ». Les règles : aucunes. Le cadre, un ancien hôpital psychiatrique sur une île hostile. Sur ce lopin de terre, les résidents livrés à eux-mêmes s’attribuent des surnoms qui évoquent à eux seuls crainte et dangerosité. (Nécro, Canni, etc...). On est dans une version lourde du « contrat asocial ».

Chloé, psycho criminologue venue sur l'île sous couverture pour mener une étude est accompagnée de Rod, son agent de protection. Ne donnant plus de signe de vie depuis un moment, Joy et Hoche, nos flics sont recrutés et envoyés sur l'île en tant qu'agents infiltrés pour essayer de les récupérer.

Pour Joy notre personnage principal, c'est un saut dans le vide. Accepter cette mission dangereuse et secrète, c'est mentir à ses proches et se mettre en danger. Mais jusqu'à quel point est-elle prête à aller  ?

Cette lecture m'a rappelé par certains aspects un film comme « Le Labyrinthe » (Wes Ball, 2014) ou de vieux livres comme « L'île du Docteur Moreau » (HG Wells, 1896). Mais plus j'avançais dans le scénario et plus je dévorais ce bouquin, plus je me disais qu'avec ce titre, Angélina Delcroix me faisait beaucoup penser au « Maître » Stephen King.

Elle se sert de multiples influences pour en faire une palpitante histoire sur fond de questions existentielles et sociétales. Des sujets qui peuvent déranger sont abordés et éveillent en nous réflexions et controverses. C'est une fiction effrayante et bluffante avec le sentiment qu'on pourrait voir cela dans un film made in the USA. Mais ne boudons pas notre plaisir, c'est made in France 100% et c'est très bien ainsi !

Chaos sans limite d'un endroit sans garde-fou ou presque, on plonge dans cette espèce de monde apocalyptique, entraînés à vive allure par la plume d’Angélina Delcroix et des chapitres courts qui soutiennent le rythme. La romancière souffle sans arrêt le chaud et le froid, oscille entre peur, violence et tranquillité. Sur l'île irréelle ou dans le monde réel, partout la même angoisse, la même pression, ça peut très vite dégénérer.

Ramassis d'individus aux antipodes de l'humanité, vous rencontrerez une série de racailles et de cinglés sans foi ni loi à coté desquels Hannibal Lecter est un enfant de cœur.

Perte de l'identité ou perte de repères ; qu'y a-t-il de plus grave que de dépasser les limites, franchir la ligne ? Combien de verdicts incompréhensibles ou inappropriés, combien de délinquants remis en liberté, recommencent aussitôt ? La question est ici posée. Faille de la justice ou incompétence ? Pendant que les victimes pleurent la perte d'un être cher, d'autres sont déjà remis en liberté et vivants.

En explorant les arcanes de la justice des hommes, l'auteure attire notre attention sur ce socle régalien où certains voudraient bien jouer une autre partition en secret pour des raisons diverses.

Je le disais en préambule, ce roman est glaçant, dérangeant, violent, mais pose de sacrées questions. Dans cette anarchie « organisée », la loi du plus fort s'applique et se substitue aux règles. Joy et ses collègues sont des fétus de paille malmenés par l'auteur et c'est un effroi perpétuel qui vous rongera les sangs et ne vous lâchera pas jusqu'à la fin. Si « Le monde est un loup pour l’homme » ; est-ce que nos héros doivent pour autant se transformer en loup et rejoindre la meute pour accomplir leur mission ? Où se situe le point de bascule ?

Comme un virus en pleine mutation qui s'amuse avec ses hôtes, la folie transpire au cœur de ce roman sous couvert d'une justice dont il ne reste plus que le mot auquel les pires maux se sont substitués.

Angélina Delcroix, vous m'avez scotché avec ce premier titre que je viens de terminer et c'est un coup de cœur whoozonien. Bravo et Merci aux éditions Hugo.


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