A+A A-

Free Queens de Marin Ledun

Whooz : Marin Ledun
ON : Free Queens - Série Noire, Gallimard (2023) - Folio Policier (2024)

Free Queens
de Marin Ledun

Prix des Lecteurs Quais du Polar - Le Figaro 2024.
Trophée 813 du meilleur roman francophone 2024

Chronique de Bruno Delaroque

Paris juin 2018 ou Nigeria janvier 2020, les prostituées noires ne valent pas grand-chose. C'est de la marchandise à malmener et à brûler dans un coin de la savane. Sans appel et violent, c'est un constat glaçant !

On ne parle pas de la beauté et de la richesse du continent africain dans cet écrit de Marin Ledun. On découvre au contraire une réalité crasseuse et un pays gangrené par la corruption dans lequel les foyers d'islamisme radicaux sont partout présents.

Avec ce « Free Queens », on se prend une claque dès le départ, mais c'est aussi une ode à la vie et à la résistance. C'est celle de Jasmine Dooyum, africaine, prostituée forcée qui a décidé de se battre pour sa liberté et la vérité. Sa rencontre avec Serena Monnier, journaliste pigiste au journal Le Monde va rebattre les cartes et révéler les dessous d'une incroyable mécanique pernicieuse.

Pendant que le coronavirus se répand dans le monde(nous sommes en début d'année 2020), le sergent Oni Goje, un vieux flic musulman, écœuré par la corruption et un pays de plus en plus livré aux extrémistes , va tenter de comprendre pourquoi deux jeunes filles sont mortes , abandonnées comme deux chiennes sous une bâche.

Il y a presque une passerelle entre ce « Free Queens » et « Leur âme au diable » (Série noire 2021), un des précédents romans de Marin Ledun . Ici le lobbying concerne une marque de bière « La First » que Peter Dirksen est en charge de faire progresser sur le territoire africain. Tous les moyens sont bons, arrosages divers et « hôtesses » de charme destinées à pousser à la consommation. En réalité, c'est un monde crasseux dicté par l'appât du gain et aux dommages collatéraux certains. Marin Ledun ne fait pas dans la dentelle et décrit un terreau propice à toutes les bassesses et une organisation bien rodée ou les marchandises ne sont pas que des bouteilles de bière . Infâme, noir et pourri, ce Free Queens est un réquisitoire sans concession contre une poignée d'individus protégés et un système écœurant qui se gave en dépit de toute humanité et respect.

Janis Otsiemi, grand observateur de la vie africaine touchait déjà du doigt cette réalité dans « La bouche qui mange ne parle pas » (éditions Jigal 2010), mais ici c'est à la puissance 1000!

Cas de conscience pour Oni Goje qui mène son enquête en dehors de tout cadre légal, il se pose de sacrées questions et ne sait quoi faire. Comme dans la chanson de JJ Goldman, « Juste Après » (1993) ; « Qu 'est ce qu'on peut bien faire après ça » ?

C'est exactement la même chose pour Serena Monnier qui rame pour obtenir de précieuses informations et risque sa vie à chaque instant.

Scène de chaos et nouvelle donne avec l'arrivée du Coronavirus, confinement, violence, une autre facette honteuse de l'Afrique apparaît. Certains sont de vrais chiens fous et il n'y a plus aucune barrière.

Alors que doit-on retenir de ce Free Queens ? Le combat et le courage des femmes nigérianes pour une certaine idée de liberté ; un portrait très noir du continent africain vendu au capitalisme cynique et à la corruption ; la porosité entre le fric et le pouvoir, est-ce que c'est de tout cela dont il s'agit ?
Ou bien est-ce simplement le fait que que rien ne changera jamais ?

Lisez ce remarquable titre de Marin Ledun. Il a un talent fou pour nous livrer des romans à fort caractère sociétal. Ce n'est jamais anodin et ce sera la seule façon de répondre à toutes les questions que vous ne manquerez pas de vous poser.

Je valide par un joli coup de coeur.

Marin Ledun sur WHOOZONE.COM

Rencontre croisée entre Marin Ledun et Colin Niel (2017)