
L’aigle des tourbières de Gérard Coquet

Whooz : Gérard Coquet
ON : L’aigle des tourbières – Jigal, 2018
L’aigle des tourbières
de Gérard Coquet
Chronique de Bruno D
Lors d'une précédente chronique je disais récemment qu'avec les éditions Jigal on était sûr de voir du pays et de découvrir différentes cultures. Ce nouveau roman de Gérard Coquet ne fait pas exception à la règle et se trouve bien être dans cette continuité. Avec une plume inspirée et un style virevoltant, l'auteur nous enivre de bons mots, à l'instar d'un Jacques Audiard ou d'un Frédéric Dard, et nous raconte une histoire profonde gravée dans l'ADN de deux pays : L’Albanie des années 80 puis la tourbeuse Irlande de 2015.
« L’aigle des tourbières », récit étalé sur deux périodes est une aventure dangereuse où quelques poignées d'individus vont lutter pour vivre et survivre à un destin violent et peu banal. C'est aussi l'histoire d'idéologies déçues et d'illusions perdues, une fois que l'on s'aperçoit que la réalité est fort peu compatible avec la théorie. La doctrine, c'est bien, c'est beau......mais l'appliquer à la lettre mène à des excès et se révèle plutôt périlleux !
L'Albanie de 1980 est un pays dominé par les clans et les patriarches qui appliquent la Loi du Kanun, mais également un état régit par le régime Hoxhiste, espèce de dérive du communisme. C'est dans ce pays que Susan, « journaliste aux engagements vitriolés, avait été mandaté par le journal du parti pour rencontrer le camarade Enver Hoxha, tracer son portrait et, si possible, comprendre les méandres de sa ligne politique ». Avec son fils Bobby, elle finit par se retrouver prise dans un drôle de piège avant de réaliser qu'il faut fuir. Mais quitter l'Albanie est aussi dangereux que de rouler à 180km/h avec 3 grammes d'alcool dans le sang. Entre la police d'état, La Sigurimi, sorte de KGB terrifiant et la Loi du Kanun, les reprises de sang et dettes d'honneur, on découvre un pays morcelé, divisé, livré à la vindicte des différents peuples et cultures, que la chape hoxhiste a bien du mal à canaliser et à unifier : « Ces peuples sont de religions et de cultures différentes et Tito n'a rien arrangé en les mélangeant contre leur volonté. Ils ne peuvent pas se blairer et ne rêvent que de collectionner des Kalachnikov pour s'en servir un jour ». L'explosion de la Yougoslavie fut une porte ouverte vers toutes sortes de trafics, d'exactions et sous couvert de guerre.
Suite à l’Albanie Gérard Coquet nous plonge dans l'Irlande de 2015. Soit une époque que l'on connaît mieux, mais c'est mal penser que le voyage va être plus tranquille. Coquet nous imbibe de Guiness et nous propose une virée humide au sein d'un pays détrempé mais attachant où des cadavres vont rapidement faire leur apparition. Au cours d'un scénario complexe, peut-être un peu trop jugeront certains, Ciara Mac Murphy, la flic de La Guarda va nous servir de guide pour explorer là aussi les brumes nébuleuses et les relents d’un passé, jamais bien loin. L’Irlande, un pays où une lourde hérédité de clans et d'activismes violents sont prêts à ressurgir à la moindre étincelle.
La tourbe peut à elle seule absorber bien des tourments, mais ajoutez des flics têtus, Interpol, le MI6, des fantômes du passé et une ribambelle de personnages atypiques, et vous aurez une idée ou plutôt un infime aperçu de ce qui vous attend dans ce passionnant roman.
La grande complexité de l'intrigue vous en fera voir de toutes les couleurs, en déroutera certains, mais après tout c'est ce que l'on aime avec cette immersion au pays du Paddy et du Jameson.
La ballade irlandaise est superbe, mais le whisky ou la bière risquent fort de vous mettre KO. Il vous faudra creuser bien profond pour débusquer « L'aigle des tourbières », mais purée, quel style, quelle écriture et quelle histoire !
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