
Te tenir la main pendant que tout brûle de Johana Gustawsson

Whooz : Johana Gustawsson
ON : Te tenir la main pendant que tout brûle – Calmann Levy Noir, 2022
Te tenir la main pendant que tout brûle
de Johana Gustawsson
Chronique de Bruno Delaroque
Je suis très heureux de commencer ce nouveau Johana Gustawsson sans Roy et Castells, les personnages qu'elle faisait vivre avec bonheur depuis trois livres.
Une envie de changement, de se renouveler, de passer à autre chose, ou une idée présente depuis longtemps, c'est une question que je lui poserais lors d'une prochaine rencontre...si on permet évidemment à nouveau les salons et les rencontres !
Histoire à triple niveaux apparemment avec pour commencer une scène de crime au Québec en 2002, Lac-Clarence. Assez sanglante et violente, l'ancienne institutrice a semble-t-il massacré son mari à coups de couteau. Maxine Grant, inspectrice et ancienne élève de l'institutrice est appelé sur les lieux pour les premières constatations. Entre horreur et stupeur, les surprises vont s'enchainer.
Deuxième niveau, Paris 1899, Lucienne Lelanger, bourgeoise aisée, refuse d'admettre la mort de ses filles dans l'incendie de son domicile parisien.
Troisième niveau, Lac-Clarence 1949, la jeune Lina vit une adolescence tourmentée.
Trois femmes, trois époques, voilà ce que nous réserve Johana Gustawsson pour son dernier ouvrage. J’ai quelquefois eu du mal par le passé avec les constructions de romans de Johana entre des allers-retours entre passé présent et je me suis dit que la marseillo-britisho-suédoise était bien partie pour nous refaire le coup. Mais cette fois-ci, je me suis laissé totalement embarquer dans ce récit plutôt bien amené.
Résumer un peu ce scénario est très compliqué sans spoiler. C’est aussi difficile de cataloguer le genre. Policier, non ? Thriller psychologique comme le dit la quatrième de couverture, je ne suis pas sûr non plus. Je dirais presque à un moment que l’on s’approche de la littérature dite « blanche ». Ce serait en tous cas un joli synopsis pour une adaptation sur grand écran.
En effet, comment ne pas être séduit, ou interpellé par la vie et le destin de ces femmes ?
On se doute bien qu’à un moment les trois histoires ou époques vont se croiser ou se relier, cependant ; on ne sait pas comment. Et c’est là qu’intervient le talent de Johana. Elle noie assez bien le poisson malgré les ficelles que l’on pourrait être tenté de deviner.
L’évocation du Paris des années 1900 en pleine construction et préparation en vue d’accueillir l’exposition universelle est intéressante. La grande bourgeoisie, elle piaffe d’impatience et s’occupe de façon bien futile. On ressent déjà toute la fracture et l’écart entre les classes sociales. Les riches ont pour amis les préfets et les décideurs. Mais l’horreur est présente là aussi avec les deux petites disparues dans un incendie. Le malheur n’a pas forcément le même impact selon la puissance de l’argent.
« Te tenir la main pendant que tout brûle » met du temps à se livrer et à se décrypter. Il faut un certain temps avant qu’il livre sa substantifique moelle.
Du Québec à Paris, c’est une histoire pleine de surprises, bonne et mauvaise. C’est autant une plongée dans les histoires de famille que la radiographie d’une époque et de la vie des femmes. Entre croyances et pratiques bizarres, la puissance de l’église et le poids d’une société patriarcale, c’est un roman bien plus profond que l’intrigue proposée qui se déroule au fil de ces pages.
Le fil conducteur est principalement ce qui se passe en 2002 avec ce meurtre horrible. La tension monte crescendo tout au long de ce scénario, magnifié par les scènes d’interrogatoires de Pauline Caron, l’institutrice retraité. Un huis-clos étouffant ou Maxine Grant et Gina de Montminy, psychologue de la police (qui a formé Emily Roy), appelée à la rescousse, vont avoir bien du mal à faire parler Pauline Caron.
Il ressort de tout cela une œuvre ambitieuse qu’on peut décoder de plusieurs façons. « Te tenir la main pendant que tout brûle » me semble être le meilleur livre de Johana Gustawsson parce qu’il aborde de façon profonde le destin et l’existence de femmes fortes et fragiles qui traversent les années avec un lourd fardeau ; celui de devoir évoluer au sein d’une société où les hommes et l’église sont les deux figures auxquelles il faut se référer. Et puis comme le disait une célèbre série : « La vérité est ailleurs ». Bravo M’Dame !
Johana Gustawsson sur WHOOZONE.COM (Chroniques signées par Bruno Delaroque - Reportages François Cappeliez))
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