Rencontre croisée avec Jacques Saussey et Amélie Antoine
Whooz : Jacques Saussey, Amélie Antoine et Olivier Vanderbecq
ON : Ne prononcez jamais leurs noms (Toucan Noir, 2017), Fidèle au poste (Michel Lafon, 2015)
Pas de deux chez le Corbac
Rencontre croisée avec Jacques Saussey et Amélie Antoine autour de leurs livres « Ne prononcez jamais leurs noms (Toucan Noir, 2017) et « Fidèle au poste » (Michel Lafon, 2015)
« Voilà une rencontre qui va être difficile car il m’est interdit de dire : « à la fin le chien meurt ! » ». Tels est le propos introductif d’Olivier Vanderbecq, libraire d’ « Humeurs Noires », la librairie lilloise des littératures sombres afin de qualifier la rencontre qu’il modéra entre Jacques Saussey et Amélie Antoine respectivement sur leurs ouvrages : « Ne prononcez jamais leurs noms (Toucan Noir, 2017) et « Fidèle au poste » (Michel Lafon, 2015). La difficulté étant donc de ne pas déflorer les histoires respectives de ces deux écrivains. Deux « pointures », vous allez comprendre pourquoi. Deux pointures, dans tous les sens du terme.
Galerie exclusive
Présentations de rigueur
Jacques Saussey
Je fais du 43, ma taille de T Shirt est XXL (en référence au T Shirt floqué « Humeurs Noires » qui est offert aux écrivains de passage par la cave de la librairie lilloise), dans la vie je suis modeleur numérique, je travaille dans le domaine de l’industrie du luxe, je modèle des objets en 3D. C’est donc un métier qui n’a rien à voir avec le livre ! J’écris sur ordinateur, directement, dans un bureau mobile, le TER Bourgogne. Ce chaque matin, pendant une heure, le temps du trajet qui m’amène à mon boulot. J’écris également lors de mon trajet du retour, mais avec plus de difficulté, le train comptant plus de monde.
Amélie Antoine
Je fais du 39 ! Jusqu’il y a peu j’avais deux métiers, je travaillais à la fois au Conseil Régional à la Politique de la Ville et comme traductrice dans le domaine du doublage de séries TV et de dessins animés (je suis notamment la traductrice des « Pyjamasques »). L’écriture (ainsi qu’un mari et deux enfants) s’est greffée à ces deux activités, ce n’était plus gérable, j’ai mis de côté les traductions (pour le moment). L’écriture prend de plus en plus de place dans ma vie. J’écris en soirées et en week-ends. Je travaille également à temps partiel pour le Conseil Régional, ce qui me permet d’écrire. J’écris sur des périodes concentrées, je passe quelques mois à réfléchir l’intrigue, les personnages … l’écriture du roman me prendra entre un à deux mois ! Lorsque je commence à écrire il faudrait déjà que ce soit fini car pour moi tout est déjà fini, ayant travaillé mon roman en amont.
Du process
Amélie Antoine : J’ai une phase ou l’idée est générale. La structure narrative me vient en premier car c’est ce qui m’intéresse le plus. Viennent ensuite les idées sur l’intrigue et le développement de mes personnages. Je prends pas mal de notes durant cette phase. Lorsque mes carnets sont pleins arrive une étape « pas marrante », celle où je décide de diviser mon histoire en chapitres. Je me retrouverai avec une fiche par chapitre. Je ne suivrai pas forcément mon amas de notes. Je peux ne pas écrire d’une manière linéaire.
Jacques Saussey : J’ai un process qui est complètement à l’opposé de celui d’Amélie Antoine. J’ai écrit trois livre en suivant la même méthode qu’Amélie, construisant une espèce d’architecture où je pouvais ranger des idées par chapitres, mais je me suis aperçu que ça ne me correspondait pas du tout. Je trouve cela très réducteur pour la possibilité de partir dans toutes directions imprévues. Ce qui m’intéresse ce sont justement ces directions imprévues qui arrivent lorsque l’on écrit. J’écris sans plan. Je ne veux rien cloisonner à l’avance. Cette méthode est employée par Karine Giebel et par RJ Ellory, deux auteurs que j’admire. J’ai commencé à écrire de cette manière à partir de « L'Enfant aux yeux d'émeraude » (Les Nouveaux Auteurs - 2014). J’ai ensuite longtemps écrit selon cette méthode, maintenant j’utilise un mix entre les deux. Je pars avec une base dont je connais à peu près avec des points fixes et une arrivée, et entre mes points importants je prends tous ce qui peut être intéressant. Lorsque j’ai commencé à écrire sans plan j’ai trouvé ça plus difficile car plus angoissant mais j’ai fini par trouver ça passionnant. Le polar étant constitué de lignes d’intrigues à respecter je me rends compte qu’avec cette méthode je tombe parfois dans des impasses. Je suis donc obligé de revenir en arrière sur des éléments que je retrouverai d’une manière précise car je construis un plan « a postériori ».
Du polar
Jacques Saussey : Je vais de plus en plus vers le roman plutôt que vers le polar ? J’ai envie d’être classé comme un romancier plutôt qu’un auteur de polars ou de thrillers. Je n’ai pas de limite dans la densité polar ou la densité thriller que je dois mettre dans un roman. Mon dernier roman part à la fois dans une direction de polar et également dans une direction plus inattendue qui n’est pas à classer dans le polar. Mon dernier livre ne peut être classifié complétement dans le genre polar.
Au moment de la sortie de « Principes mortels » mon éditeur me conseillait de ne pas désorienter mon lectorat. Qui allais-je déstabiliser à l’époque ? J’avais envie de raconter cette histoire, j’ai raconté cette histoire. Après le coup de cœur de Frank Thilliez sur « Colère noire » (Les Nouveaux Auteurs - 2013), la perception de mon éditeur a changée, « Principe mortel » (Les Nouveaux Auteurs - 2013) est sorti, et a eu un bon accueil. « Principe mortel » est un roman noir qui se passe dans les années 70, c’est-à-dire sans téléphone portable et sans recherche ADN, c’est un one shot, c’est mon premier livre sans Daniel et Lisa.
Je ne veux pas être cantonné dans une case. Je veux pouvoir écrire du roman historique ou même du roman sentimental !
Amélie Antoine : Editeurs ou libraires ont envies de mettre les auteurs dans des cases. Avec « Fidèle au poste », pour moi, j’ai écrit un roman, point. Je ne me suis pas demandé quelle étiquette il avait ! Quand je l’ai mis en auto-édition j’ai choisi la catégorie « roman à suspens ». De là le succès est venu, « Fidèle au poste » a été repéré par les éditions Michel Lafon qui après réflexion l’ont sortie en littérature générale, sous mon insistance. Le livre a été défendu ainsi. Il vient de sortir en livre de poche dans la collection « Thriller ». Tous les journalistes qui en parlent en parlent comme d’un Thriller Psychologique. Je trouve que « Fidèle au poste » ne possède pas forcément les ingrédients d’un Thriller. Je suis d’accord pour la partie « psychologique », mais pas convaincue par la partie « Thriller ». Mon livre est un livre à suspens, c’est un « page turner » loin d’être un « feel good ».
Le jeu des points communs : la multipersonnalisation des écritures d’Amélie Antoine et de Jacques Saussey. La multiplication des points de vue.
Jacques Saussey : Mon dernier livre compte des personnages qui racontent une partie de l’histoire à la première personne. J’ai découvert la puissance de la narration à la première personne avec « Principe mortel ». Raconter à la première personne me permet l’introspection pour mes personnages de Daniel et de Lisa. Elle me permet également de rentrer dans mon personnage de tueur de masse. Personnage qui rentre notamment en résonnance avec les évènements qui ont touché la France lors des attentats de Charlie Hebdo. Les médias n’arrêtaient pas de les désigner par leurs noms, et je me suis dit « mais M*, P*, arrêtez de prononcer les noms de ces mecs-là, p* ». On se souvient plus des tueurs que des victimes ! Et les victimes alors ! C’était un cri du cœur. Le titre de mon bouquin vient de là.
Amélie Antoine : Dans « Fidèle au poste » j’alterne sur deux modes d’écriture sur trois personnages. Sur deux de mes personnages féminins j’écris à la première personne, sur mon personnage masculin j’écris à la troisième personne, c’est un narrateur omniscient. J’ai deux personnages féminins, l’une, Chloé, est morte noyée. Cette dernière continue de parler et de voir ce qui reste de sa vie. Gabriel est lui effondré, il ne voit pas comment se remettre de la mort de sa femme. Emma, mon troisième personnage arrive dans la ville de St Malo, là où habitaient Gabriel et Chloé, et fait la rencontre de Gabriel. Chloé et Emma sont écrites à la première personne. Gabriel est lui écrit à la troisième personne, ce qui sert l’intrigue. J’avais besoin que l’on n’ait pas accès aux pensées de Gabriel. Ce que j’ai déterminé en travaillant la structure narrative de mon histoire en amont de l’écriture de mon roman.
Des attentats – De la nécessité d’écrire
Amélie Antoine : Les attentats du Bataclan m’ont inspiré « Au nom de quoi », un roman choral avec dix personnages fictifs qui se retrouvent le 13 novembre 2015 dans cette salle de spectacle. Un roman que j’ai eu besoin d’écrire en décembre 2015. Je l’ai écrit en 15 jours, je pensais qu’il me ferait du bien, ce fut l’inverse ! J’ai soumis mon texte un mois après les attentats, ce qui fut jugé comme trop tôt par rapport aux événements. Mon roman a le droit d’exister, il est disponible au format numérique. A-t-on le droit de faire de la fiction quand on n’y était pas ? Voilà la question que l’on m’a posée.
Jacques Saussey : J’ai commencé « Ne prononcez jamais leurs noms » au jour de l’an de 2015, quelques jours avant « Charlie ». Mes premières scènes ont été extrêmement marquées par les événements de « Charlie ». J’ai terminé le bouquin en novembre/décembre 2015, donc au moment des attentats du Bataclan. Mes derniers chapitres sont noircis par ces événements. J’étais alors empreint de colère, de rage et de peur pour l’avenir. Je suis sûr que de nombreux romans écrits à cette époque sont imprégnés de ça.
Amélie Antoine : j’ai écrit « Au nom de quoi » pour « faire mon deuil ». Je n’arrivais pas à me détacher de personnes omniprésentes que je ne connaissais pas ! En sentant que le chagrin que j’avais était déplacé. Comment peut-on se sentir si mal pour des gens que je ne connais pas ?
Jacques Saussey : Nous avons eu cette nécessité d’écrire car cela aurait pu arriver à tout à chacun. Nos enfants, tous.
Amélie Antoine : « Au nom de quoi » fut un cri. Plus qu’un roman. Je me suis persuadée de me dire que quand je l’aurai écrit ça soit sorti de moi. Ce fut l’inverse. Lorsque maintenant on évoque le Bataclan, je pense à mes personnages ainsi que ceux qui sont vraiment morts ! Mes personnages sont de la pure fiction. Ces derniers vivent tout ce qui s’est passé. Je suis maintenant en deuil de mes dix personnages ! Ce quo peut sembler « surréaliste » ! Mon livre est divisé en trois parties, avant, pendant et après la soirée. Un « après » qui n’est pas forcément raconté par eux ! C’est moi qui ai mis mes personnages dans ces positions. C’est moi qui ai décidé de ce qui allait se passer pour eux. Je reste persuadé qu’on écrit pour exorciser toutes les douleurs qu’on a en soi.
Jacques Saussey : J’ai choisi d’écrire violemment l’attentat de mon train (au début de mon bouquin) à la troisième personne par un narrateur omniscient. Là se trouve une mère et son gamin, ils rentrent de vacances. On se demande pourquoi cela arrive-t-il à ces gens-là ? Comme pour le Bataclan. Pourquoi ces personnes se sont-elles fait descendre lâchement alors qu’elles n’étaient pas venues pour se bagarrer ? Cette femme est ce gamin sont victimes de la furie des hommes qui les a frappée par hasard.
Du fin mot de l’histoire
Jacques Saussey : « Ne prononcez jamais leurs noms » parle de la religion et d’autres considérations. L’athéisme forcené de Lisa est le mien. Le caté auquel j’ai été forcé d’assister en étant gamin m’a fortement marqué. La religion a fait trop de dégât sur notre planète !
Amélie Antoine : Dans « Fidèle au poste », ma réflexion est : « comment dans son quotidien arrive-t-on à se mentir, et si ce n’est pas se mentir alors comment arrive-t-on à se mettre un masque ? ». Comment peut-on arriver à se dire : « en fait je ne connais pas du tout mon conjoint ».
De l’avenir
Amélie Antoine : « Quand on a que l’humour », mon deuxième roman chez « Lafon » sortira en mai prochain. Il raconte l’histoire d’un humoriste qui est au sommet de sa gloire. Quand le livre commence il s’apprête à jouer son spectacle au Stade de France devant 50 000 personnes. « Quand on a que l’humour » est l’histoire d’un clown triste, un livre sur l’envers du décor, un livre sur les relations d’un père et de son fils.
Jacques Saussey : Je viens de mettre le dernier mot sur mon dernier livre, le septième de la série « Daniel et Lisa ». Au niveau des sorties poches, « La Pieuvre » sortira au Toucan au mois de juin. « Principe mortel » sera, lui, édité chez Bragelonne.
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